Les 2 trajectoires de l'Europe pour que le numérique paie sa "juste part
d'impôt"
Politique : La Commission européenne s'attaque aux avantages fiscaux
dont bénéficient nombre d'acteurs du numérique, et en particulier les
GAFA. Elle propose ainsi deux mesures alternatives pour garantir "que
toutes les entreprises paient leur juste part d'impôt dans l'UE."
Entrée en vigueur ? impossible à prédire.
Christophe Auffray
Par Christophe Auffray | Mercredi 21 Mars 2018
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Depuis plusieurs mois - sinon des années -, des Etats membres discutent
assidument du [40]moyen d'imposer enfin les géants mondiaux de
l'Internet en Europe. Dans une lettre conjointe adressée à la
Commission, les ministres des Finances de la France, l'Allemagne,
l'Italie et l'Espagne réclamaient en septembre 2017 la mise en place
d'une taxation basée sur les recettes et non seulement leurs bénéfices.
Début mars, le commissaire européen, [41]Pierre Moscovici, tenait à
assurer dans les médias que cet appel avait été entendu et que des
mesures seraient proposées en ce sens. "Ces entreprises payent 10 %
d'impôt sur les sociétés là où les autres entreprises payent 23 %"
s'insurgeait l'ancien ministre français.
Du provisoire tout de suite ou du sérieux un jour ?
Ces mesures sont désormais connues et sur le bureau des institutions
européennes - mais pas encore dans un tiroir. Leur mise en œuvre est
une autre histoire. La Commission se pose donc en garante de l'équité
fiscale en Europe. Elle estime même que leur adoption permettrait à
l'Europe de jouer "un rôle moteur à l'échelle mondiale en matière
d'élaboration de législations fiscales adaptées à l'économie moderne et
à l'ère numérique."
Les [42]mérites des deux propositions seront débattus durant les
prochains mois (années ?). L'exécutif européen a cependant déjà sa
préférence et elle va à une nouvelle approche de la taxation des
bénéfices des entreprises.
Les bénéfices seraient "enregistrés et taxés là où les entreprises ont
une interaction importante avec les utilisateurs par l'intermédiaire de
canaux numériques." Et cette option "constitue la solution à long terme
privilégiée par la Commission", quand la seconde mesure, plébiscitée
par "plusieurs Etats membres", prendrait la forme d'une taxe provisoire
et sélective.
La première sera sans doute plus complexe à mettre en œuvre. Elle
repose en effet sur une réforme commune des règles de l'UE pour
l'imposition des activités numériques. Or, qui dit réforme fiscale
commune, dit unanimité des 27 pour toute application.
Cette proposition semble bien pourtant la seule à même d'imposer
réellement les GAFA. Comment ? Grâce à une taxation des bénéfices
réalisés sur le territoire des Etats membres, "même si une entreprise
n'y est pas présente physiquement".
Des établissements stables virtuels pour les acteurs du numérique
Le [43]principe n'est pas nouveau et est discuté depuis des années. Il
repose sur [44]la notion d'établissement stable virtuel, c'est-à-dire
une "présence numérique imposable". Plusieurs critères sont définis
pour déterminer l'existence pour une plateforme d'une telle présence.
Serait considérée comme disposant d'un établissement stable virtuel
dans un Etat toute entreprise dégageant "plus de 7 millions € de
produits annuels", comptant plus de 100.000 utilisateurs et plus de
3000 contrats commerciaux pour des services numériques créés entre
l'entreprise et les utilisateurs actifs au cours d'un exercice fiscal.
Ces règles auront pour effet de modifier "aussi la manière dont les
bénéfices sont attribués aux États membres", mais également d'établir
"un lien concret entre le lieu où les bénéfices du secteur numérique
sont réalisés et le lieu où ils sont taxés."
La Commission juge surtout qu'elles "garantiraient que les entreprises
en ligne contribuent autant aux finances publiques que les entreprises
'physiques' traditionnelles." Séduiront-elles en revanche [45]les Etats
de l'UE qui ont fait de la fiscalité un atout pour convaincre les
acteurs du numérique de s'implanter chez eux ? Pays-Bas, Irlande,
Luxembourg et d'autres feront sans doute la grimace.
Ils pourraient dès lors se montrer plus enclins à soutenir une taxation
provisoire comme le prévoit la seconde proposition de la Commission,
qui n'en ignore rien comme en témoigne son communiqué. Pire, faute de
cohésion, l'adoption de taxes nationales pourrait même accentuer la
concurrence fiscale entre membres.
Une taxe provisoire sur certaines activités, dont la pub
Cette taxe sur "certains produits tirés d'activités numériques"
permettrait au contraire "d'éviter que des mesures unilatérales soient
prises pour taxer les activités numériques dans certains États membres,
ce qui pourrait entraîner une multiplicité de réponses nationales,
préjudiciables pour notre marché unique" souligne l'exécutif.
Ce provisoire serait voué à se maintenir "jusqu'à ce que la réforme
globale ait été mise en œuvre et prévoie des mécanismes intégrés pour
réduire la possibilité de double imposition." Compte tenu de
l'unanimité requise pour son adoption et des [46]risques de tensions
politiques avec les partenaires mondiaux de l'Europe, dont les
[47]protectionnistes US de Trump, le provisoire pourrait s'éterniser,
si jamais il voit le jour.
Pour la Commission, il s'agit avec cette mesure de taxer plus
spécifiquement les "produits générés par des activités où les
utilisateurs jouent un rôle majeur dans la création de valeur" et jugés
"les plus difficiles à prendre en compte par les règles fiscales
actuelles."
Sont cités les revenus tirés de la vente d'espaces publicitaires sur
Internet, ceux "générés par les activités intermédiaires numériques qui
permettent aux utilisateurs d'interagir avec d'autres utilisateurs et
qui facilitent la vente de biens et de services entre eux". Et enfin
les bénéfices "tirés de la vente de données générées à partir des
informations fournies par les utilisateurs."
Cette proposition vise clairement les GAFA et les services
d'intermédiation des plateformes comme Airbnb. Les recettes fiscales
iraient aux Etats dans lesquels se trouvent les utilisateurs. Pour
éviter d'affaiblir ses propres acteurs numériques, plus petits que
leurs concurrents étrangers, la taxe ne s'appliquerait "qu'aux
entreprises dont le chiffre d'affaires brut annuel atteint au moins 750
millions € au niveau mondial et 50 millions € dans l'UE"..
Selon ses estimations, la Commission évalue à 5 milliards d'euros les
recettes par an pour les États membres dans l'hypothèse ou le taux
d'imposition retenu serait de 3%. Les discussions promettent d'être
agitées. Les propositions doivent être soumises au Conseil pour
adoption et au Parlement pour consultation.
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